Menaces sur la préservation de l'authenticité du Roquefort et du Camembert
Analyse Penicillium Roqueforti

Selon une étude du CNRS, le Roquefort et le Camembert, deux des piliers de la tradition fromagère française, sont confrontés à un défi sans précédent : la standardisation de leurs micro-organismes essentiels. Cette standardisation, résultat des pratiques de l'industrie agroalimentaire, menace de transformer ces fromages en produits homogénéisés, éloignés de leur authenticité originelle. La spécificité de chaque fromage, historiquement définie par la diversité et la particularité de ses ferments, risque de se perdre sous le poids de processus de production uniformes.
Ainsi, le Roquefort et le Camembert pourraient non seulement perdre leur identité unique, mais aussi une partie de leur héritage culturel et gastronomique. On vous explique !

LES MICRO-ORGANISMES IMPLIQUÉS

Le Roquefort et le Camembert doivent leur existence et leur caractère distinctif à des micro-organismes spécifiques, principalement des moisissures du genre Penicillium. Le Roquefort est célèbre pour son Penicillium Roqueforti, qui crée ses veines bleues emblématiques et son goût piquant. Le Camembert, quant à lui, dépend du Penicillium Camemberti pour sa croûte veloutée et son profil de saveur douce et terreuse. Ces moisissures sont le cœur vivant de ces fromages, orchestrant la transformation du lait en produits profondément ancrés dans notre terroir français.

Rôle des micro-organismes dans la fabrication du fromage

Les micro-organismes, notamment les bactéries et les moisissures, jouent un rôle crucial dans la fabrication du fromage. Ils initient et contrôlent la fermentation lactique, transformant le sucre du lait en acide lactique, ce qui affecte la consistance, le goût et l'arôme du fromage. Les moisissures spécifiques, telles que Penicillium Roqueforti pour le Roquefort et Penicillium Camemberti pour le Camembert, sont essentielles pour développer leurs caractéristiques distinctives. Elles sont responsables de la texture, de la couleur de la croûte, et des arômes uniques à chaque type de fromage. Cette alchimie microbienne est au cœur de l'art fromager, faisant de chaque fromage un produit unique.

Focus sur Penicillium Roqueforti et Penicillium Camemberti

Penicillium Roqueforti et Penicillium Camemberti sont deux moisissures essentielles dans la production de fromages spécifiques.

Penicillium Roqueforti : Cette moisissure est au cœur de la production du Roquefort. Elle est responsable de la formation des marbrures bleues ou vertes caractéristiques et contribue à son profil aromatique piquant et distinctif. Cette moisissure est sélectionnée pour sa capacité à se développer dans les conditions spécifiques des caves de Roquefort-sur-Soulzon.

Penicillium Camemberti : Fondamental pour le Camembert, ce champignon forme la croûte blanche duveteuse du fromage et contribue à sa texture crémeuse et à ses arômes doux. Sa sélection est basée sur son apparence esthétique et son aptitude à favoriser les qualités organoleptiques désirées du Camembert.

Ces deux moisissures, agents de fermentation, sont les gardiennes des identités uniques et des héritages culturels de ces fromages emblématiques.

STANDARDISATION ET PERTE D'AUTHENTICITÉ

La standardisation industrielle, courante dans la production de masse, a un impact notable sur la diversité microbienne des fromages. En favorisant certaines souches de moisissures pour leur efficacité et leur conformité aux normes esthétiques, l'industrie limite la diversité génétique des micro-organismes utilisés.
Cette pratique conduit à une uniformisation des caractéristiques sensorielles et gustatives des fromages, érodant ainsi leur unicité et leur richesse traditionnelle.
Ce phénomène est particulièrement préoccupant pour des fromages comme le Roquefort et le Camembert, où la diversité microbienne est essentielle à leur authenticité et à leur qualité.

Dans le cas du Roquefort, l'industrie a tendance à privilégier une souche unique de Penicillium Roqueforti, ce qui réduit la diversité génétique et, par conséquent, la complexité des saveurs. Bien que l'AOP Roquefort maintienne une certaine diversité, la majorité des fromages bleus sont produits avec une souche standardisée, perdant ainsi une part de leur caractère unique.

Pour le Camembert, la situation est encore plus critique. Historiquement caractérisé par une diversité de moisissures sur sa surface, il est désormais majoritairement produit avec une seule souche albinos de Penicillium Camemberti. Cette uniformisation a conduit à un Camembert aux caractéristiques sensorielles et esthétiques homogènes, éloigné de sa forme traditionnelle aux multiples nuances de moisissures et de saveurs.

Perico Legasse, critique gastronomique reconnu, met en lumière, lors de son émission « Le Beurre et l'argent du beurre » sur RMC, les conséquences de l'industrialisation sur l'authenticité des fromages. Selon lui, l'industrialisation conduit à une standardisation qui érode l'identité unique des fromages comme le Roquefort et le Camembert. L'utilisation répétée de souches clonales de micro-organismes, favorisée par les méthodes de production en masse, conduit à une perte de diversité génétique et, par extension, à une perte de complexité gustative. Perico souligne l'importance de préserver les méthodes traditionnelles de fabrication, qui respectent la diversité microbienne et maintiennent ainsi le caractère distinctif et l'âme de ces fromages emblématiques.


LA DÉCOUVERTE SCIENTIFIQUE DE JEANNE ROPARS ET TATIANA GIRAUD

Jeanne Ropars et Tatiana Giraud, deux chercheuses du laboratoire Écologie, systématique et évolution à Gif-sur-Yvette, ont réalisé des travaux significatifs sur les micro-organismes dans le fromage. Leur étude a porté sur le séquençage du génome de Penicillium Roqueforti présent dans le Bleu de Termignon, un fromage rare.

Le Bleu de Termignon est fabriqué dans une poignée de fermes dans les Alpes françaises. Il se distingue par ses moisissures bleu-vert naturelles, issues d'une souche unique de Penicillium roqueforti, non utilisée dans d'autres productions fromagères. Cette souche révéle un patrimoine génétique distinct et une diversité microbiologique précieuse. Le Bleu de Termignon représente donc non seulement un patrimoine fromager unique, mais aussi une source potentielle de diversité génétique pour d'autres fromages bleus menacés par la standardisation. Cette diversité génétique peut également aider à renforcer la résilience des souches face aux maladies et aux changements environnementaux.

Les travaux de Jeanne Ropars et Tatiana Giraud ont conduit au séquençage du génome de Penicillium Roqueforti présent dans le Bleu de Termignon. Cette avancée scientifique est cruciale car elle met en lumière la diversité génétique au sein des souches de Penicillium Roqueforti, une diversité jusqu'alors méconnue et sous-estimée. Cette découverte ouvre la voie à une meilleure compréhension de l'impact de la diversité microbienne sur les caractéristiques et la qualité des fromages.

Cette avancée révèle l'existence d'une variabilité génétique plus vaste que ce que l'on croyait dans les souches de moisissures utilisées dans la fabrication du fromage. Elle souligne la nécessité de préserver et d'explorer cette diversité pour maintenir l'authenticité et la qualité des fromages traditionnels. Cette découverte remet en question les pratiques standardisées de l'industrie agroalimentaire, encourageant un retour vers des méthodes plus variées et respectueuses du terroir.


LA PRESSION DE SÉLECTION DANS L'AGRO-ALIMENTAIRE

L'industrie fromagère a historiquement privilégié la sélection de souches spécifiques de champignons pour des raisons de contrôle de qualité et d'efficacité de production. Cette sélection vise à obtenir des fromages avec des caractéristiques uniformes et prévisibles, répondant aux attentes des consommateurs en termes d'apparence, de texture et de saveur. Cependant, cette approche a un revers : elle limite la diversité génétique des souches de champignons utilisées.
La conséquence directe est une réduction de la variabilité naturelle dans les fromages, menant à une perte de caractéristiques uniques et traditionnelles propres à chaque type de fromage.

La standardisation des souches de champignons dans les fromages non soumis à un cahier des charges stricts entraîne une uniformité des caractéristiques microbiennes. Cette uniformité réduit la diversité microbienne, ce qui peut affecter négativement la complexité des arômes et des saveurs. Les fromages « non AOP », souvent produits en grande quantité, perdent ainsi une partie de leur identité unique et de leur richesse gustative. Cette diminution de la diversité microbienne peut également avoir un impact sur la santé des écosystèmes fromagers, limitant leur capacité à s'adapter et à évoluer naturellement.


CONSÉQUENCES DE LA REPRODUCTION ASEXUÉE

La multiplication végétative, couramment utilisée dans l'industrie fromagère, implique la reproduction des champignons par clonage plutôt que par reproduction sexuée. Bien que cette méthode garantisse une uniformité et une stabilité du produit, elle a des effets significatifs sur les souches de champignons. La reproduction asexuée limite la diversité génétique, car il n'y a pas de brassage génétique.

Sans le brassage génétique apporté par la reproduction sexuée, les souches subissent une accumulation de mutations pernicieuses. Ce phénomène réduit leur fertilité et leur robustesse, compromettant leur capacité à contribuer efficacement au processus de fermentation du fromage. À long terme, cela peut affecter la qualité, la saveur, la texture et la sécurité des fromages, menaçant ainsi la pérennité de ces variétés historiques.


LE CAS DU CAMEMBERT

cultures de Penicillium camemberti et Penicillium biforme

Cultures de Penicillium camemberti (blanc et cotonneux) et Penicillium biforme (gris vert)
© Tatiana Giraud, chercheuse CNRS au laboratoire Ecologie

Le Camembert est actuellement dans une situation critique principalement due à la standardisation de sa souche de moisissure, Penicillium Camemberti. Historiquement diversifié en termes de cultures microbiennes, le Camembert moderne est majoritairement produit avec une seule souche albinos. Cette uniformisation a conduit à une perte de diversité génétique, affectant négativement la capacité de la souche à se reproduire et à évoluer. Cette situation menace non seulement la qualité et l'authenticité du Camembert mais aussi sa pérennité en tant que produit fromager emblématique.

Historiquement, la fabrication du Camembert impliquait l'utilisation de diverses souches de Penicillium Camemberti, ce qui donnait au fromage une richesse de saveurs et d'arômes. Cependant, au fil du temps, l'industrie a opté pour une souche albinos unique, visant une apparence plus uniforme et attrayante. Ce changement a considérablement réduit la diversité microbienne, impactant la complexité gustative du fromage. Ces pratiques ont également conduit à une vulnérabilité accrue aux maladies et une diminution de la qualité globale, éloignant le Camembert de ses racines traditionnelles et artisanales.

Pour sauver le Camembert de la dégénérescence génétique et de la perte d'authenticité, plusieurs stratégies peuvent être envisagées.
Réintroduire et encourager l'utilisation de souches de Penicillium Camemberti plus diversifiées, y compris des variétés « sauvages », pourrait renforcer la diversité génétique et restaurer la complexité aromatique du fromage.
Une autre piste pour le sauvetage du Camembert pourrait être l'utilisation de Penicillium Biforme, une espèce proche génétiquement de Penicillium Camemberti mais avec une diversité génétique plus grande.
Par ailleurs, l'édition génomique offre une solution potentielle pour réintroduire la diversité génétique perdue. Cette technique pourrait permettre de corriger les mutations mais elle soulève des questions éthiques et réglementaires importantes qui nécessitent une réflexion approfondie.

A RETENIR

La préservation de la diversité microbienne dans la production fromagère est cruciale non seulement pour maintenir l'authenticité et la qualité des fromages mais aussi pour sauvegarder un patrimoine culturel et gastronomique. Cette diversité est la clé de la complexité des saveurs et des textures, et elle joue un rôle important dans la résilience des fromages face aux changements environnementaux et aux maladies. La protection de cette biodiversité microbienne est donc essentielle pour assurer la pérennité et l'évolution durable des traditions fromagères.

Source technique : CNRS du 10/01/2024

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3 commentaires pour cette page

Béatrice
Pourquoi ne pas lancer une pétition ?
Josette
C'est grave, nous allons perdre 1 à 1 tout nos fromages. Nous devons actualisé le sujet car c'est notre Identité.
Claudine
Il y a bien longtemps cette question était déjà là ! Peu de gens s alarmaient tout le mondé producteurs très petits ou grands, consommateurs étaient tous heureux de profiter du « progrès »!
Si le flore de surface est bof est-ce que le consommateur est prêt à acheter ? Qui fait quoi et pourquoi ?
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